Un film de François Ozon, 2019
Par Lucie
Grâce à Dieu, long métrage signé François Ozon, primé au Festival du film de Berlin, a failli être interdit de diffusion, car le sujet sensible qu’il porte, l’omerta sur la pédophilie au sein de l’Eglise catholique, est encore d’actualité, et même brûlant ces temps-ci. En effet, la possible peine d’accusation du père Preynat pour actes pédophiles sur mineurs de moins de 15 ans et du cardinal Barbarin pour non-dénonciations d’agressions sexuelles n’a pas encore été prononcée et le film intervient dans ce contexte tendu d’attente de jugement de la part des victimes. (Le verdict du procès sera rendu le 7 mars pour le cardinal).
Le sujet est donc sensible, en témoigne le tournage qui s’est déroulé dans des églises à l’étranger et non pas à Lyon où se déroule l’affaire, pour ne pas avoir à demander les autorisations de tournage à l’évêque de Lyon, qui n’est autre que… Barbarin. De plus, le film avait initialement pour titre “Alexandre” (nom du premier personnage qui témoigne contre Preynat), et a ensuite été renommé en référence à une déclaration du cardinal Barbarin lors d’une conférence de presse en 2016, concernant les accusations de pédophilie du père Preynat “La majorité des faits, grâce à Dieu, sont prescris”, formule très polémique dont il s’est ensuite excusé pour la maladresse.
Grâce à Dieu, voulu comme un “film citoyen” par le réalisateur, vise à créer le débat en choisissant de montrer sans détour des victimes et leur combat pour que leur parole soit reconnue et acceptée, ainsi que leur parcours de vie. Toutes les histoires sont tirées de faits réels, de témoignage,s et ont été construites avec les victimes, ce qui donne un petit côté documentaire au film, tourné sans artifices et avec pudeur.
On nous présente ainsi d’abord Alexandre (Melvil Poupaud), père de famille bourgeois. Il parle le premier en découvrant que le père Preynat dont il a été victime enfant lors des camps de scout se voit toujours confier des enfants. Par action boule de neige, s’ajoute ensuite François (Denis Menochet), dont la colère est beaucoup plus vive et lui a fait perdre la foi, et enfin par Emmanuel (Swann Arlaud), jeune homme qui se construit péniblement depuis les faits.
Ensemble, et très vite rejoints par d’autres victimes, toujours plus nombreuses (on parle d’environ 70 enfants victimes du père Preynat), ils créent l’association La parole libérée pour faire entendre leurs voix et briser le silence opaque qui règne autour de la pédophilie.
Présenté comme un film pour et non contre l’Eglise, on ne tombe pas dans le cliché du parfait chrétien comme on pourrait le craindre au début avec le personnage d’Alexandre, mais on nous montre des hommes très différents, accessibles, sensibles, dont le traumatisme se mêle à leurs histoires de famille actuelles.
Il évite également l’écueil de la diabolisation de l’Eglise et l’amalgame en séparant les actes de l’institution.
L’impression de longueur à certains moments du film symbolise l’extrême lenteur du processus de reconstruction des victimes et de la libération de la parole, ainsi que de l’avancée juridique de l’affaire, qui s’étend sur plusieurs années. Sur le fond, le film remet d’ailleurs en question la pertinence de la prescription juridique, pour des victimes qui acceptent d’en parler parfois seulement 30 ans après.
Courez voir cette belle fresque humaine et touchante, qui, par des points de vue différents, nous offre des pistes de réflexion et de débat.